Le conseil est simple et direct :
« Jeûne et bois de l’eau, abstiens-toi de tout désir pour ne plus avoir un jour que des désirs raisonnables » (Entretiens, III, sous ch XIII, §20)
Epictète n’a rien écrit, mais son enseignement était clairement d’ordre pratique et ses élèves n’écrivaient pas pour le transformer en théorie. Les textes gardent trace de ces conseils pratiques :
« Si tu veux t’exercer un jour pour toi-même, si un jour tu as soif par une grande chaleur, aspire une gorgée d’eau fraïche, crache-la et ne le dis à personne » (Entretiens, III, sous ch XII, §17).
« Ne le dis à personne » est un propos qui doit nous interroger. Entretiens III, XIV met en garde contre la provocation, ou l’ostentation – à la manière de la 4eme partie du Yoga-Sutra qui alerte contre la fascination des siddhis.
S’il faut se garder de séduire les foules, il faut aussi se garder de l’opinion : « Je n’ai ni faim, ni soif ni froid, mais d’après l’idée qu’on se fait de la faim et de la soif, on pense que j’ai faim et soif. Que ferai-je donc pour eux? Vais-je courir les rues en proclamant expressément : « Ne vous y trompez pas, hommes; tout va bien pour moi; je ne m’occupe ni de la pauvreté, ni du manque de charge, ne en général de rien d’autre que des opinions droites; je les possède sans contrainte et je n’ai plus aucun souci » (Entretiens, IV, VI, 23).
Manger et boire comme le fait la foule, c’est-à-dire sans discipline particulière, selon son désir, cela n’est pas possible. Entretiens III, XV, 10. Mais il faut trouver la bonne foulée, la bonne vitesse, et ne pas se tyranniser : il faut que nous puissions dire à tout moment « Voyez, hommes, je ne possède rien (mais) il ne se trouve pas de mal à ce régime sévère » et si celui qui m’adresse ces paroles a l’aspect et le visage d’un condamné, quel Dieu me persuadera de m’adonner à une philosophie qui produit des hommes pareils? Bien loin de là! Je ne le voudrais pas, même si j’étais sur le point d’être sage » (Entretiens, IV, XI, 23).
Il faut trouver le bon tempo, entre paresse et mortification : Ne pas nous exercer pour atteindre des résultats contraires à la Nature, ou inattendus, difficiles ou dangereux. Revenir à la question du but : « Quel est le but de nos efforts? » et à travers cette question, à la distinction de ce qui dépend de nous et de ce qui ne dépend pas de nous, à la distinction entre skopos et télos. D’un point de vue stoïcien, le jeûne n’est même pas un indifférent, puisque ce n’est même pas un but : c’est seulement un moyen et c’est la raison pour laquelle les stoïciens ne s’appelaient pas « praniques », ni même « jeûneurs ». Il s’appelaient « philosophes », « amis de la sagesse », parce qu’ils trouvaient plus judicieux de se nommer par le but qu’ils poursuivaient que par les moyens qu’ils employaient. Toutefois, le jeûne était bien ce que j’appellerai, par le détour du bouddhisme, un « moyen habile », du moins pour certains d’entre eux, et chez Epictète en particulier comme on peut le voir dans les Entretiens (alors que ce n’était probablement pas le cas de Marc Aurèle pour des raisons qui tenaient aux soins dont on homme de son rang devait être entouré). Je dirais même volontiers que le jeûne était sans doute parmi les « moyens habiles » (uppaya), « le plus habile ».