Ethique : Le parallélisme

Pour former un concept vrai de l’esprit (comme le veut la 2° partie de l’Ethique), il faut renoncer à l’union de l’âme et du corps en tant que sentiment vécu du monde. Le parallélisme permet de fonder la connaissance vraie de l’esprit.

Proposition 7, 2° partie : « L’ordre et la connexion des idées sont les mêmes que l’ordre et la connexion des choses ». Que signifie et quelle est la portée de cette proposition ? L’identité de connexion exprime l’identité de la causalité : ce sont les mêmes lois. Et des effets analogues se produisent dans tous les attributs. La première conséquence est que les actions du corps vont nécessairement de paire avec les actions de l’esprit. Respectivement pour les passions. Le parallélisme affirme en même temps et l’autonomie des séries causales et la nécessité de la correspondance (donc en un sens du caractère inséparable) de l’esprit et du corps.

C’est une thèse qui réfute en même temps le mécanisme (qui fait de la pensée un produit de l’activité corporelle) et l’idéalisme (qui fait du corps un simple phénomène de la réalité des idées). Les modes de la Pensée ne peuvent pas être de véritables causes pour les modes de l’Etendue, ni inversement.

Mais finalement un mode de l’Etendue et un mode de la Pensée sont une seule et même chose, considérés du point de vue de l’unité substantielle exprimés de manières différentes. C’est ce qu’indique le scolie de la proposition 7 de la 2° partie : « L’entendement de Dieu et les corps sont une seule et même chose ». C’est-à-dire que Dieu est cause d’une idée en tant qu’il est la Pensée, mais du même coup il est cause de la chose en tant qu’Etendue. Le parallélisme ontologique va permettre maintenant de fonder le parallélisme anthropologique. C’est parce qu’il est ontologique qu’il va permettre d’éclairer le parallélisme anthropologique. Cela signifie que pour tout corps existant, son idée est nécessairement donnée dans l’attribut Pensée. En ce sens, il y a toujours une forme d’âme là où il y a un corps. Spinoza a abandonné le mécanisme. Tous les textes de Spinoza portant sur la Physique montrent un même souci d’attribuer une activité autonome au corps dans l’Etendue. L’Etendue n’est pas inerte. Quant au parallélisme anthropologique, il signifie qu’il y a une différence entre les esprits humains et ceux des corps autres.

Scolie de la proposition 13 : « Pour déterminer en quoi l’âme humaine est différente des autres et l’emporte sur elles, il nous est nécessaire de connaître la nature de son objet tel que nous l’avons fait connaître, c’est-à-dire le corps humain ». C’est ici que paradoxalement, le corps humain trouve son privilège, alors que du point de vue de Dieu, c’est la Pensée qui était le privilège. Le corps a le privilège généalogique sur l’esprit. C’est le renversement de l’axiome cartésien. Finalement, Spinoza affirme que c’est le corps qui est plus aisé à connaître que l’âme. Pour quelle raison en effet étudier les rapports de mouvements et de repos qui constituent les corps ? Parce que précisément la connaissance physique ne porte pas sur les effets physiques du corps (sentiments) ; elle n’exprime pas l’effectuation des rapports entre notre corps et les corps extérieurs, mais plutôt ce que l’entendement conçoit adéquatement de l’Etendue. Une connaissance intelligible de l’Etendue est plus accessible que celle de l’esprit humain. Le corps enfin va fournir un modèle épistémologique comme on le voit dans la correspondance où se développe une réflexion sur les propriétés dynamiques de la corporéité (qui constituent une métaphorisation des propriétés conatives de l’idée).

C’est parce que le corps n’est pas inerte que l’on peut penser l’activité du corps dans une physique mathématique qui n’est pas réduite au mécanisme, que la pensée peut de son côté n’être pas considérée comme une succession de tableaux muets présentés à un sujet qui serait extérieur à eux. Pas plus que le corps n’est inerte, l’idée n’est une représentation muette ou immobile dans la Pensée.