Ethique et immanence : Elaboration de la notion de substance unique

Dans le Traité de la Réforme de l’Entendement, § 104 (ou §60 en GF), on avait déjà insisté sur le caractère continu de la déduction du vrai, pour montrer qu’il y a déjà là un fondement épistémologique – ce qui est insuffisant : il faut un fondement ontologique « car sans un principe, nos pensées ne peuvent être déterminées ». Nullo fundamento cogitationes nostrae terminari fuerunt. Les traducteurs avaient pris la liberté d’introduire une négation parce que le texte leur paraissait inintelligible. Mais il faut traduire : De nul fondement ne résulte que nos pensées soient terminées, interrompues – ce qui est très différent. § 105 : « Puisque la méthode est la réflexion elle-même, ce fondement qui doit diriger nos pensées ne peut être rien d’autre que la connaissance de ce qui constitue la forme de la vérité ». En effet, lorsque nous l’aurons acquise, nous aurons : et le fondement d’où nous déduirons nos pensées, et la voie par laquelle l’entendement pourra parvenir à la connaissance des choses éternelles. Cela implique que nous sachions d’emblée ce qu’est une idée vraie, notamment lorsqu’elle est simple et que nous sachions à partir d’elle composer des idées complexes pour une déduction qui suppose à chaque étape une synthèse : c’est dans ce sens qu’il faut entendre l’exemple fameux de la production d’une sphère à partir de la rotation d’un demi-cercle. Le mouvement de synthèse qui me permet de produire dans la pensée la forme d’une sphère ne peut être faux puisqu’il se confond avec la genèse même de la sphère – et c’est en cela qu’il y a adéquation entre l’idée et ce qu’elle définit, entre l’idée de la sphère et son essence formelle. C’est ce qui nous permet de reconnaître que l’essence atteint la réalité, c’est précisément ce mouvement continu de synthèse d’un être à l’autre par une composition dont la loi est donnée par le mouvement de synthèse lui-même. Ce mouvement de synthèse n’a rien d’artificiel. Il exclut le retour à des abstractions, à des universaux. Nous reconnaissons que nous sommes dans le faux lorsque nous nous attachons à une idée qui en l’absence de tout fondement, nous donne un objet isolé qui dans la nature ne pourrait avoir avec les autres un commerce quelconque. Aussi pour atteindre une vérité intégrale et certaine, il faudra arriver à concevoir l’être avec lequel tous les autres êtres sont mis en rapport : l’être dont l’idée enveloppe toutes les autres idées. Cet être n’est donc pas simplement un dénominateur commun. L’idée de fondement, c’est l’idée de ce principe unique qui sous-tend la série des idées et la série des choses naturelles de l’autre. Ainsi, nous définissons la méthode dans le Traité de la Réforme de l’Entendement : elle implique une réflexion sur l’être total, indivisible. C’est à partir de cette idée métaphysique qu’il faudra comprendre la possibilité de l’Ethique.

Ce qui distingue la vie du sage de celle du vulgaire, ce n’est pas sa moralité. La vie du vulgaire est discontinue, inconséquente, privée de son propre principe qui fait l’unité de la réalité d’une vie. Le vulgaire est condamné à errer de fiction en fiction, de conflit en conflit, incapable de saisir ce par quoi nous pouvons composer des unités supérieures. Voilà en quoi l’idée métaphysique de substance fonde l’Ethique.

On peut passer par le Court Traité pour comprendre comment se construit la notion spinoziste de substance.

Le problème du Court Traité, c’est la définition des genres de connaissance (comme dans le Traité de la Réforme de l’Entendement) en insistant sur le fait que ces modes de connaissance sont en même temps des modes d’existence. Ils nous font connaître les choses mais aussi l’étendue de notre propre puissance. Ici est développé le thème de la Cinquième partie de l’Ethique selon lequel la liberté de l’homme est lié à la puissance de l’entendement. Le Court Traité condense les vérités de l’Ethique. « Dieu est la vérité », « la vérité est Dieu même ». Cette idée s’interprète à partir de la nature de l’idée adéquate qui exprime l’essence de la chose en exprimant sa cause. Et nous découvrons que de proche en proche, toute idée adéquate exprime Dieu comme cause.

Nous voyons comment Spinoza modifie la notion cartésienne de clarté. La clarté vient du caractère complet de l’idée et de ses connexions avec les autres idées. Elle est éprouvée non par un acte de perception : la clarté chez Spinoza a un sens beaucoup logique que psychologique. Dans le Court Traité, Spinoza étudie ensuite la puissance de l’idée par ses effets en nous. Donc il considère que l’idée est une réalité et qu’il y a des effets spécifiques de l’idée adéquate. Comme la vérité s’explique, se développe par notre puissance de connaître, elle est aussi une détermination interne. Dans l’idée vraie, je suis auto-déterminé en tant qu’entendement à produire de telles idées au lieu d’être déterminé par des conditions externes, comme dans le premier ou le second genre de connaissance.

Au chapitre 5, Du vrai et du faux, nous franchissons un pas entre l’idée et le réel, l’idée s’accordant entièrement avec la nature de la chose et conséquemment plus riche en essence formelle. Essence formelle : ce qui nous donne a priori la possibilité de l’existence. Sur la réalité de l’idée vraie : on voit par là la perfection de celui qui est dans le vrai si on l’oppose à celui qui n’y est pas. Il y a plus d’essence et de constance en lui qu’en l’autre. L’idée fausse est toujours privation, expression d’une impuissance. Tout se passe comme si l’immutabilité de l’essence et son éternité (il s’agit des choses intelligibles qui ne dépendent pas de la durée et sont donc immuables et éternelles) passaient dans l’entendement au moment où celui-ci conçoit une idée vraie en tant qu’elle est adéquate. C’est l’effet le plus important pour une éthique, de cette conception de la vérité.

Il est important de remarquer que la connaissance a été examinée sous trois aspects : ce qu’elle est, ses causes, ses effets (Court Traité, ch. II). La connaissance est considérée comme un véritable processus de production, une réalité et un mode dont l’homme est formé.

Radicale différence avec le cartésianisme : la réalité de l’idée requiert pour être établie la science objective et non pas le doute. Le cogito est la recherche d’une garantie. D’où le problème : comment l’entendement peut-il être mon entendement, c’est-à-dire la puissance subjective de la pensée, finie, et une puissance objective qui se trouve exprimée chaque fois de façon déterminée, chaque fois que je pense une idée vraie ? Comment l’entendement peut-il être à la fois divin et humain, substantiel et modal ?

Si on considère le plus haut genre de connaissance, le Court Traité souligne l’immédiateté de cette connaissance qui s’acquiert non par une conviction née du raisonnement, mais par sentiment et jouissance de la chose elle-même. Quelques soient les imperfections de la première théorie modifiée dans l’Ethique grâce à la théorie des notions communes de la raison, elle résume bien un des aspects de la théorie spinoziste qui voit dans la connaissance une relation à la chose. La mesure de cette relation est dans la connaissance la plus parfaite de la chose : c’est la présence dans l’entendement de la chose elle-même. Celui qui connaît de cette façon là n’imagine ni ne croit : il saisit la chose elle-même, non par quelque autre chose mais en elle-même. La théorie de l’adéquation permet de dire qu’il la saisit en elle-même parce qu’elle est en lui par elle-même. Elle s’autojustifie, s’autonconstruit puisqu’elle impose ses raisons. La relation est union à la chose. C’est, dit Spinoza, ce qui s’appelle amour. Yodéah en hébreu signifie aimer et connaître. Spinoza recueille une influence de la mystique juive (Abarbanel) et de la tradition néoplatonicienne. Il a du prendre connaissance d’une théorie émanatiste de la connaissance. Toutefois ces influences n’expliquent pas la pensée-même de Spinoza qui est l’autoposition du vrai, imposant la présence de l’Etre.

Le premier dialogue dans le Court Traité, s’efforce d’établir que Dieu est à la fois vérité et nature, qu’il n’y a par conséquent qu’une seule nature au sens absolu du terme. Dans ce premier dialogue interviennent la raison et la concupiscence – qui parle en langage cartésien : « Ce que tu dis, ô Concupiscence, car tu dis qu’il y a des substances distinctes – je te le dis, est faux car je vois qu’il n’y en a qu’une unique et qu’elle subsiste par elle-même et est le soutien de tous les autres attributs ». Spinoza s’efforce de réduire l’Etendue infinie d’une part, la Pensée d’autre part, à des modifications d’un Etre unique qu’il considère déjà comme infini, existant par soi et par là éternel. Cela s’oppose au créationnisme (de Descartes par exemple) où même le mouvement doit avoir pour origine dans cette étendue, l’action divine, créatrice. Il n’y a pas de dynamisme immanent qui rendrait compte de la formation des corps.

Cela s’oppose aussi aux philosophies platoniciennes de l’émanation, car dans l’émanation, il y a une distance, voire une dégradation des effets de la puissance divine par rapport à la cause. Il n’y a qu’une substance déclare Spinoza dans le Court Traité, et elle ne produit rien absolument en dehors d’elle-même. C’est la définition de la causalité immanentiste.

Aussitôt après, Spinoza examine le statut de l’entendement. C’est ainsi dit-il que l’entendement est la cause des idées. L’entendement est nommé cause parce que ses idées dépendent de lui. Mais c’est un tout eu égard à ce qu’il est composé de ses idées, de même –nous n’en sommes qu’à l’analogie pour l’instant – Dieu vis-à-vis de ses effets ou créatures n’est pas autre chose qu’une cause immanente ; et il est aussi un tout eu égard au second aspect. L’entendement humain, en dépit de sa finitude, va ainsi parfaitement exprimer la production des essences puisqu’il ne peut lui-même exister et produire que comme partie d’un tout. Nous ne sommes pas substance, mais mode, partie, effectuation déterminée. L’entendement va exprimer une puissance infinie de connaître. C’est en Dieu et par Dieu que la vérité se manifeste. La connaissance du quatrième genre est fondée sur l’appartenance de notre entendement à l’entendement absolu.

Encore faut-il supposer un pouvoir d’être affecté. Pour exprimer le rapport d’immanence et d’appartenance à Dieu, Spinoza déclare dans le Court Traité que l’acte de comprendre est un pur pâtir. La connaissance est une affection. D’ailleurs dans le premier dialogue, c’est l’amour qui pose le problème de sa propre perfection en demandant à la raison de lui fournir l’objet le plus parfait. Or la raison montre que – et c’est la seule solution possible – c’est l’Etre qui réalise l’unité, l’infinité et la toute-puissance de la nature, la cause de soi immanente. Hors de cette perspective, l’union des différentes déterminations de l’Etre posait des problèmes insolubles.

Substance, attributs et modes

Revenons un instant à la critique de Descartes pour qui la substance n’est pas une essence unique, absolue, illimitée dont les différentes pensées ne seraient que des modes. La substance n’est pas non plus, comme elle le sera chez Spinoza, le terme ultime d’une analyse régressive (qui va vers le fondement). C’est plutôt d’abord tout sujet et en premier lieu tout sujet individuel – moi pensant. La découverte de la substance se fait dans la Seconde Méditation. Aucun des attributs de la pensée (désirer, concevoir…) ne peut être posé en lui-même, distingué des actes de la pensée. Seul le Moi peut être posé en lui-même, posé distinctement de ses modes. Les modes de la pensée n’ont pas d’existence hors du moi. C’est à partir du Moi comme substance pensante que la substance héritée des autres réalités peut être connue. J’ai en moi à titre d’idée innée la distinction entre substance et mode. La méthode chez Descartes vise toujours à la substantialité de l’individu.

Il faut distinguer différents sens du terme substance : Dieu et créatures. Dans tous les cas, la substance est ce qui est capable d’exister à part, mais il faut réserver à Dieu la définition de la substance comme existant absolument par soi, ce qui est conçu comme n’ayant besoin que de soi-même pour exister. A proprement parler, il n’y a que Dieu qui soit tel. Substance et attributs essentiels sont identiques quand on considère leur réalité. La distinction est une distinction de raison. L’attribut est ce que je conçois de la substance comme constituant son essence.

Considérant l’idée de Dieu, le Court Traité considère que la preuve ontologique présuppose toujours une pensée précise de l’Infini. S’il est possible de présenter des preuves par les effets, c’est que nous avons déjà en nous l’idée de Dieu en tant qu’idée impliquée par tout attribut – tout attribut impliquant l’infinité. Quelle est cette conception précise de l’Infini qui va conduire Spinoza à modifier et les preuves de l’existence de Dieu chez Descartes et la conception de la substance ?

L’infini ne peut pas être composé de parties distinctes. Il ne peut pas être obtenu par sommation de choses finies. Il est plutôt donné comme condition de possibilité de toute partition – toute détermination est négation. C’est le fini qui est une négation de l’Infini – l’Infini en soi étant indivisible. L’infini est continu.
Il ne peut y avoir deux infinis, mais un seul.
Cet Infini est immuable, existant par soi. Il ne peut être changé, étant éternel.
La substance étant conçue comme ce qui est par soi en un sens absolu, il faudra dire que toute substance est infinie et que toute substance appartient à l’Etre divin de telle sorte que l’Etendue et la Pensée – concevables d’abord comme des substances – sont plutôt des constituants exprimant la substance, des attributs. Ce qui nous empêche de comprendre l’Infini, c’est que nous l’imaginons composé de parties, saisissables séparément, sans que le tout soit pour cela nécessaire. Mais de l’Etendue, attribut de la substance, on ne peut dire qu’elle a des parties, ni qu’elle puisse devenir plus petite ou plus grande, ni qu’aucune de ses parties puisse être conçue séparément, attendu que par sa nature elles doivent être infinies. L’Infini rend raison de l’indivisibilité de l’Etendue. En infinitisant l’Etendue, Spinoza lui accorde du même coup les mêmes propriétés qu’à la divinité. Il faut donc désormais entendre par substance, toutes les réalités infinies, indivisibles, qui ont la puissance d’exister et de produire des effets par elles-mêmes.

Ensuite, il faudra montrer qu’il ne peut exister deux substances de même attribut. L’attribut n’est plus un adjectif (comme le sont en théorie le propre, les propriétés), mais un substantif qui permet de reconnaître ce dont il est l’attribut. Connaître un seul attribut, c’est d’une certaine façon les connaître tous. Nous ne connaissons que deux types de réalité : l’ordre corporel et l’ordre mental. Et par là, toutes nos connaissances se rapportent soit à l’Etendue, soit à la Pensée. En un sens, on peut dire que l’homme ne connaît que deux attributs dans lesquels il retrouve tout ce qui contient l’idée d’un infini positif. On doit aussi admettre que l’Infini absolu intègre une infinité d’attributs dont nous ne connaissons directement que deux. Cela ne rend pas Dieu incompréhensible puisqu’il s’exprime sans mystère dans chacun des attributs.

Une autre différence avec le Dieu de Descartes se trouve dans la Troisième Méditation. A lire vite, on pourrait croire que Spinoza reprend l’idée de Dieu à Descartes. « Par Dieu, j’entends une substance infinie », éternelle et immuable, indépendante, omnisciente et omnipotente, par lesquelles toutes choses ont été créées et connues. Mais pour ce qui est des perfections – omniscience, omnipotence – elles ne définissent pas pour Spinoza autre chose que des qualités. Elles ne donnent pas l’essence de cette substance. Le Court Traité distingue très nettement les propres (adjectifs) des attributs de Dieu. Les propres sont construits par amplification superlative de qualités auxquelles nous participons nous-mêmes. Et par là, il n’est pas possible d’établir un ordre ni une construction de l’essence, tandis que les attributs permettent de ne plus séparer les genres d’être de la substance divine – ce qui revient à considérer comme réciproque une relation qui était unilatérale : la relation entre l’Etendue et Dieu (i.e. entre la Pensée et Dieu). La distinction ontologique se déplace : elle n’est plus entre la substance et l’attribut, elle sera désormais entre la substance et le mode, une affection déterminée de la substance qui est en elle. Quelle est cette différence ? Elle tient au statut de chaque mode – qui a une essence qui n’enveloppe pas l’existence – qui dépend donc des autres existences dans le même attribut.

Le parallélisme

Il n’est pas très exact de dire que Spinoza part de Dieu. L’idée de Dieu a besoin d’être explicitée dans la première partie de l’Ethique où il est question de la causalité, de la différence entre substance et mode, de l’union des substances en une seule. Ainsi, il faut partir de la notion d’être existant par soi, de l’Etre substantiel en général, y penser l’infinitude comme essence, et concevoir à partir de cette idée, l’idée d’un Etre absolu s’exprimant dans tous ses attributs qui sont des réalités infinies. Il s’agit dans cette première partie d’identifier les attributs avec Dieu et conclure de l’unité des natures ou attributs en Dieu à l’identité de Dieu et de la Nature. Nous sommes partis d’essences éternelles, d’idées vraies qui s’imposent à l’entendement, mais Spinoza refuse de considérer ces réalités intelligibles essentielles comme des créatures. Il refuse de maintenir une distance entre Dieu et ces natures intelligibles, à la différence de Descartes. L’ambition de Spinoza est de mettre en place un savoir absolu – absolu ne veut pas dire illimité – disons plutôt : un savoir absolument certain dans ses limites. Il est manifeste que Spinoza, dans le Court Traité, voit dans la multiplicité des substances cartésiennes, les créatures séparées, une impossibilité de communiquer avec Dieu par la connaissance, donc une irréductible limitation et de l’homme et de Dieu, comme s’il était contradictoire que l’infini coexiste simplement avec le fini. D’où l’insistance à démontrer ce qui nous paraît aller de soi au début de l’Ethique, étant donné les présupposés des axiomes, à savoir qu’une substance ne peut pas être démontrée par une autre. Puis : l’insistance à refuser deux espèces de causalité différentes, celle par laquelle Dieu se réalise et celle par laquelle il produirait l’univers. L’immanentisme s’oppose au créationnisme. Dieu produit tout ce qu’il produit en se réalisant, en produisant sa propre existence. Il y avait chez Descartes une espèce d’immanence, mais uniquement dans la réalisation de soi par Dieu.

Le refus de distinguer deux causalités rend possible la compréhension d’un attribut quelconque pourvu que la pensée du penseur elle-même soit comprise comme un mode de cet attribut. Etant un corps et ayant l’idée de ce corps, je peux comprendre et les propriétés du corps par l’Etendue et celles de l’esprit dans l’attribut Pensée. Ce faisant, je communique avec l’essence puisque l’attribut exprime Dieu ou est ce que nous comprenons comme l’essence de Dieu. Affirmer qu’il n’y a qu’un seul Etre absolument infini qui s’exprime dans tous les attributs, c’est affirmer le parallélisme, c’est-à-dire l’identité d’ordre et de connexions dans tous les attributs différents – Dieu se produisant selon le même ordre nécessaire et jamais de façon arbitraire, dans la contingence. Dieu est cause de soi en tant que nature naturante, nature comme cause. Pour Descartes, un être fini ne peut coïncider intuitivement avec la pensée divine : d’une part, l’ordre créé n’est pas le même dans les deux substances hétérogènes, la Pensée a ses caractères fondamentaux et l’Etendue a les siens. Pour Spinoza, la compréhension de toute chose finie quelque soit l’attribut considéré implique la compréhension de la puissance infinie qui est en dernière instance sa cause. Dieu n’est plus requis comme garant de la connaissance des substances, a fortiori dans cette incompréhensible union de l’âme et du corps qui est la source du sentiment ; Il est dans le Court Traité, l’Etre duquel tout est affirmé. Son action se reconnaît dans toute action réelle et dans toute représentation cohérente de cette action.

Cela impliquera une conséquence quant à la nature même de la production divine : tout le possible est ou sera réel. Il y a dans l’entendement divin autre chose que ce qu’il produit en vertu de sa puissance. L’entendement sera compris dans la première partie de l’Ethique comme un mode infini de l’attribut Pensée, donc comme l’ensemble systématique des essences, et ce sont ces essences qui définissent la possibilité d’exister des êtres. La puissance de penser ne peut pas être plus étendue que la puissance d’agir. Ce sera la critique d’un entendement qui conçoit les possibles – la critique du principe platonicien du meilleur – chaque attribut étant l’existence en acte de la substance, c’est-à-dire sa production selon une expression déterminée.